Le
"Sénéchal de Ternois" était généralement
"capitaine du château", responsable de son administration
et du Comté, ainsi qu'ordonnateur de la justice seigneuriale
(qui s'étendait à tout le Comté, sauf aux
villes auxquelles le Comte avait octroyé une "charte"
et qui exerçaient leur propre justice).
La maison du Sénéchal n'a pas été
localisée précisément, mais nous savons qu'elle
était reliée à la partie seigneuriale par
une galerie qui courait le long de la muraille donnant sur l'actuelle
rue d'Arras.
Tout au long du fossé, sur la droite, s'élevait
la muraille, composée d'un parement extérieur de
grès et de silex, d'un bourrage de craie d'un à
deux mètres d'épaisseur, et d'un parement intérieur
de pierres et silex.
Cette muraille était défendue par une tour intermédiaire,
dénommée "Tour des Comtes" [N°6],
située entre la porte et la grosse tour de la motte, un
bâtiment y était accolé, on en voit encore
un pan de mur.
Intéressons-nous maintenant à la motte [N°7].
Cette motte, construite de mains d'hommes, avec des fascines retenant
la craie et la terre, date au moins du XII ème siècle.
S'il s'avérait qu'il n'y a pas eu une première motte
avec tour de bois à la pointe du Château Vieux, l'antiquité
de celle-ci serait augmentée d'au moins deux siècles.
Les fouilles pratiquées en 1936/37 à l'instigation
de P. Roden firent apparaître, sur le sommet de cette motte
deux constructions d'époques différentes.
D'abord les fondations d'un donjon carré, en pierre, de
12 mètres de côté, avec des murs de 3 mètres
d'épaisseur; ce donjon du XII ème siècle
avait probablement 10 à 15 mètres de haut, ce qui,
ajouté aux 18 mètres de hauteur de la motte, donnait
une hauteur totale d'une trentaine de mètres par rapport
au sol de la cour.
Le Comte logeait-il au premier étage de ce donjon ? probablement...
mais on dut construire rapidement au pied de la motte un bâtiment
plus commode, car non seulement les Campdavène habitaient
ici avec leur famille, mais ils accueillaient, à certaines
périodes, les "Pairs" du Comté, tenus
à "l'estage" (c'est à dire un stage de
30 jours pour y débattre des affaires du Comté et
rendre la justice).
Lorsque vers 1240/50, un comte de la famille des Châtillon
entreprit de transformer complètement le château
le donjon carré fut abattu et remplacé par un donjon
rond (plus résistant aux chocs des boulets de canon). Mais
cette tour ronde n'avait plus d'utilité pour le logement
du Comte; elle fut utilisée comme prison et constituait
l'élément ultime de la défense; c'est pourquoi
on la déplaça, comme on peut le constater, vers
le fossé, pour être engagée dans la muraille
comme les autres tours. Cette tour ronde de 13 mètres de
diamètre [N°7], qui devait
être aussi élevée que l'ancien donjon carré,
portait à son sommet une terrasse couverte de plomb, ce
qui la faisait appeler "la tour plombée".
Actuellement on aperçoit au sol, dans l'épaisseur
du mur de la tour, une vitre qui cache un trou d'homme; il s'agit
de l'entrée d'une glacière, on y a retrouvé
à la fin du XIX ème siècle, un grand nombre
de poteries grises (plus de 200) contenant des débris de
nourriture; il s'agissait d'un garde-manger permettant aux défenseurs
de la tour de soutenir un siège.
Sur la droite, au pied de la motte, se trouve une excavation,
due aux fouilles de 1936/37.
Nous sommes là dans le château du XIII ème
siècle, très exactement en face de la chambre du
Comte. Le sol, à l'époque, était environ
1 mètre plus bas qu'aujourd'hui. Cette chambre était
à l'étage d'un grand bâtiment, au-dessus d'une
salle basse [N°13]; le départ
d'un escalier, en colimaçon, est encore visible.
Il faut savoir que, lorsque ce château a été
reconstruit, au milieu du XIII ème siècle, les Comtes
de la famille des Châtillon n'habitaient pas la région,
ils ne venaient que de temps en temps à Saint-Pol pour
affaires de justice et pour percevoir les revenus du Comté.
Près de la chambre, vers la gauche, se situe une grande
salle [N°14] qu'on appelait la
"chambre de parement", où le Comte recevait.
Sous cette chambre se trouvait une salle des gardes d'où
partait un souterrain voûté qui aboutissait dans
la porte de la ville, dite "porte de Béthune"
ou "de Poterie" (ce souterrain est en partie effondré
et impraticable).
La chambre du Comte communiquait avec l'étage de la petite
chapelle dont nous voyons les contours sur le terrain, il s'agit
de la chapelle Sainte Catherine [N°17],
ainsi le Comte pouvait y entendre la messe sans être mêlé
à ses serviteurs...
A gauche du logement du Comte, se trouvait une très vaste
salle sans étage, voûtée, de style gothique,
avec 5 grandes fenêtres : la salle d'honneur et de banquets,
dite "salle peinte" [N°15];
le bâtiment s'étendait vers la gauche en direction
d'une tour qui surplombait la porte de Béthune.
En retour, sur la gauche, le long de la rue de Béthune,
un grand bâtiment à étage [N°18],
abritait les services du château: écuries "des
grands cheveaux", "bouteillerie", cuisine, "paneterie",
"salle aux engins", "artillerie", et à
l'étage, "la chambre du conseil", "la chambre
des Fiennes".
A l'extrême gauche, à l'angle Nord-Ouest du château,
se trouvait une tourelle d'angle près de laquelle un escalier
permettait de descendre sur le marché [N°11].
Tout cet ensemble de bâtiments constitue le Château
du XIII ème siècle, celui des Châtillon, apparentés
aux rois de France...
Vers 1630, la Comtesse Mahaut de Châtillon, ayant épousé
Guy de Luxembourg, apportait le Comté à la famille
de Luxembourg, apparentée aux empereurs du Saint Empire
(Allemagne). Les Luxembourg vont aménager ce petit château
en lieu de réception, car ils ont de très hautes
relations...
Plus tard, Louis de Luxembourg, Comte riche et puissant va jouer
son"jeu" personnel entre Louis XI et Charles le Téméraire,
Duc de Bourgogne. Le château de Saint-Pol doit montrer la
richesse du Comte Louis face au château voisin du Vieil
Hesdin et à son célèbre "parc"
propriété des Ducs de Bourgogne.
Rappelons
quelques événements qui intéressent directement
l'histoire de notre château à la fin du XIV ème
et au XV ème siècle:
> Le Comte Guy de Luxembourg
a, parmi ses enfants, un surdoué qui passera un certain
temps au château, dans sa jeunesse; Pierre qui deviendra
évêque de Metz à 18 ans, cardinal en Avignon,
et mourra (en 1387) en odeur de sainteté à 22 ans,
miné par les privations volontaires au profit des pauvres,
il sera déclaré "Bien heureux"
> Le fils aîné
de Guy, Waleran, devient Comte de Saint-Pol à la mort de
son père, c'est un aventurier! que le Roi nomme Connétable
(chef des armées); pris par les Anglais, il s'éprend
de la soeur utérine du Roi d'Angleterre et l'épouse!
Ce qui le met en délicatesse avec le Roi de France (c'est
la guerre de cent ans).
Plus tard, fait prisonnier à nouveau, mais par un prince
Allemand, il est libéré sur ordre de l'Empereur
d'Allemagne, Othon, ce qui lui permet de récupérer
sa rançon!
Avec cet argent, Waleran reconstruit la tour qui surplombe la
porte de Béthune; on l'appellera désormais "la
grosse tour couverte d'ardoises" [N°9];
elle sera aménagée luxueusement pour l'époque
(cheminée, garde-robe, cuisine...), tous les murs seront
lambrissés, un appartement de luxe en quelque sorte. Tout
ce qu'il faut pour recevoir les plus hauts personnages, ce que
fera le Comte Louis (neveu de Waleran). Seront reçus au
château, le Roi de France, Louis XI (beau-frère du
Comte), le Roi et la Reine d'Angleterre (alors dépossédés
de leur trône, il est vrai) et les Ducs de Bourgogne Philippe
le Bon et son fils Charles le Téméraire. D'autres
tours sont également aménagées, la tourelle
d'angle [N°11] et surtout la
tour [C] à
l'aplomb des chapelles. Une porte nouvelle sera ouverte entre
la "tour plombée" [N°7]
et "la tour couverte d'ardoises" [N°9].
Waleran, avant de mourir, décide de construire une nouvelle
et grande chapelle "pour le repos de son âme"
aventureuse!, ce sera la chapelle Notre Dame [N°16],
accolée à l'ancienne chapelle, "la neuve chapelle"
ne sera pas encore terminée en 1470, les sculpteurs y seront
encore à l'oeuvre.
Mais
pour unir tous ces lieux de réception, de logement et de
prière, sans traverser la cour réservée aux
activités serviles, et sans salir les luxueux vêtements
des invités de marque, un Comte, probablement Louis de
Luxembourg, fait construire les "galeries à double
estage", couloirs extérieurs qui permettent d'aller
d'une tour à l'autre, à la chapelle, à la
"salle peinte", etc.. sans se salir les pieds.
Nous ne savons pas grand chose de ces galeries, les soubassements
étaient probablement en pierre, et tout le reste en bois,
avec sans doute, entre les colombages, des remplissages de torchis
ou de briques. Près des chapelles, un escalier monumental,
fermé, permettait de descendre dans la cour et d'accéder
aux jardins, ils étaient éclairés par des
fenêtres avec vitraux.
Louis fera décorer les toits, les tours, les fenêtres
du château, d'emblèmes à sa gloire: bannières
à ses armes (le lion), à sa devise ("mon mieulx"),
images de la fée Mélusine, dont prétendaient
descendre les Luxembourg. Tel était le château de
Saint-Pol vers 1472, lorsqu'il sera confisqué par Charles
le Téméraire, puis par le Roi de France. Car Louis
de Luxembourg, Connétable de France, sera condamné
pour haute trahison et exécuté en place de Grève
à Paris en 1475, sur ordre de Louis XI (en raison de ses
relations avec les Bourguignons et les Anglais). Mais le château
sera rendu à sa fille Marie (qui y viendra au début
du XVI ème siècle et fera prendre soin des jardins),
avant la destruction totale de 1537. |