LE CHATEAU NEUF
 

La porte principale du Château neuf, avec pont-levis et herse, était encadrée de tours [N°4 et N°5 du plan].
Le flanc du grand fossé n'était pas garni de murailles, puisque cette partie du château n'était plus défendue depuis le XIII ème siècle, elle ne servait plus que de basse-cour portant granges, écuries et réserves de bois, de fagots et de matériaux.

maquette

Le chemin situé après la porte d'entrée [N°4], avec ses pavés et ses ornières du Moyen-âge, existe toujours il a été retrouvé au cours d'une fouille en 1994, mais le pavement étant détérioré en certains endroits, il a été recouvert de sable, ce qui hélas nous empêche de le voir.
Un grand mur isolait cette partie du reste du château. Car nous sommes dans la partie "militaire" où logeaient soldats et hommes d'armes, dans les tours [N°21]. C'est dans cette partie que se situait également la maison du Sénéchal [N°20].

Le "Sénéchal de Ternois" était généralement "capitaine du château", responsable de son administration et du Comté, ainsi qu'ordonnateur de la justice seigneuriale (qui s'étendait à tout le Comté, sauf aux villes auxquelles le Comte avait octroyé une "charte" et qui exerçaient leur propre justice).
La maison du Sénéchal n'a pas été localisée précisément, mais nous savons qu'elle était reliée à la partie seigneuriale par une galerie qui courait le long de la muraille donnant sur l'actuelle rue d'Arras.
Tout au long du fossé, sur la droite, s'élevait la muraille, composée d'un parement extérieur de grès et de silex, d'un bourrage de craie d'un à deux mètres d'épaisseur, et d'un parement intérieur de pierres et silex.
Cette muraille était défendue par une tour intermédiaire, dénommée "Tour des Comtes" [N°6], située entre la porte et la grosse tour de la motte, un bâtiment y était accolé, on en voit encore un pan de mur.
Intéressons-nous maintenant à la motte [N°7].
Cette motte, construite de mains d'hommes, avec des fascines retenant la craie et la terre, date au moins du XII ème siècle. S'il s'avérait qu'il n'y a pas eu une première motte avec tour de bois à la pointe du Château Vieux, l'antiquité de celle-ci serait augmentée d'au moins deux siècles.
Les fouilles pratiquées en 1936/37 à l'instigation de P. Roden firent apparaître, sur le sommet de cette motte deux constructions d'époques différentes.
D'abord les fondations d'un donjon carré, en pierre, de 12 mètres de côté, avec des murs de 3 mètres d'épaisseur; ce donjon du XII ème siècle avait probablement 10 à 15 mètres de haut, ce qui, ajouté aux 18 mètres de hauteur de la motte, donnait une hauteur totale d'une trentaine de mètres par rapport au sol de la cour.
Le Comte logeait-il au premier étage de ce donjon ? probablement... mais on dut construire rapidement au pied de la motte un bâtiment plus commode, car non seulement les Campdavène habitaient ici avec leur famille, mais ils accueillaient, à certaines périodes, les "Pairs" du Comté, tenus à "l'estage" (c'est à dire un stage de 30 jours pour y débattre des affaires du Comté et rendre la justice).
Lorsque vers 1240/50, un comte de la famille des Châtillon entreprit de transformer complètement le château le donjon carré fut abattu et remplacé par un donjon rond (plus résistant aux chocs des boulets de canon). Mais cette tour ronde n'avait plus d'utilité pour le logement du Comte; elle fut utilisée comme prison et constituait l'élément ultime de la défense; c'est pourquoi on la déplaça, comme on peut le constater, vers le fossé, pour être engagée dans la muraille comme les autres tours. Cette tour ronde de 13 mètres de diamètre [N°7], qui devait être aussi élevée que l'ancien donjon carré, portait à son sommet une terrasse couverte de plomb, ce qui la faisait appeler "la tour plombée".
Actuellement on aperçoit au sol, dans l'épaisseur du mur de la tour, une vitre qui cache un trou d'homme; il s'agit de l'entrée d'une glacière, on y a retrouvé à la fin du XIX ème siècle, un grand nombre de poteries grises (plus de 200) contenant des débris de nourriture; il s'agissait d'un garde-manger permettant aux défenseurs de la tour de soutenir un siège.
Sur la droite, au pied de la motte, se trouve une excavation, due aux fouilles de 1936/37.
Nous sommes là dans le château du XIII ème siècle, très exactement en face de la chambre du Comte. Le sol, à l'époque, était environ 1 mètre plus bas qu'aujourd'hui. Cette chambre était à l'étage d'un grand bâtiment, au-dessus d'une salle basse [N°13]; le départ d'un escalier, en colimaçon, est encore visible.
Il faut savoir que, lorsque ce château a été reconstruit, au milieu du XIII ème siècle, les Comtes de la famille des Châtillon n'habitaient pas la région, ils ne venaient que de temps en temps à Saint-Pol pour affaires de justice et pour percevoir les revenus du Comté. Près de la chambre, vers la gauche, se situe une grande salle [N°14] qu'on appelait la "chambre de parement", où le Comte recevait. Sous cette chambre se trouvait une salle des gardes d'où partait un souterrain voûté qui aboutissait dans la porte de la ville, dite "porte de Béthune" ou "de Poterie" (ce souterrain est en partie effondré et impraticable).
La chambre du Comte communiquait avec l'étage de la petite chapelle dont nous voyons les contours sur le terrain, il s'agit de la chapelle Sainte Catherine [N°17], ainsi le Comte pouvait y entendre la messe sans être mêlé à ses serviteurs...
A gauche du logement du Comte, se trouvait une très vaste salle sans étage, voûtée, de style gothique, avec 5 grandes fenêtres : la salle d'honneur et de banquets, dite "salle peinte" [N°15]; le bâtiment s'étendait vers la gauche en direction d'une tour qui surplombait la porte de Béthune.
En retour, sur la gauche, le long de la rue de Béthune, un grand bâtiment à étage [N°18], abritait les services du château: écuries "des grands cheveaux", "bouteillerie", cuisine, "paneterie", "salle aux engins", "artillerie", et à l'étage, "la chambre du conseil", "la chambre des Fiennes".
A l'extrême gauche, à l'angle Nord-Ouest du château, se trouvait une tourelle d'angle près de laquelle un escalier permettait de descendre sur le marché [N°11].
Tout cet ensemble de bâtiments constitue le Château du XIII ème siècle, celui des Châtillon, apparentés aux rois de France...
Vers 1630, la Comtesse Mahaut de Châtillon, ayant épousé Guy de Luxembourg, apportait le Comté à la famille de Luxembourg, apparentée aux empereurs du Saint Empire (Allemagne). Les Luxembourg vont aménager ce petit château en lieu de réception, car ils ont de très hautes relations...
Plus tard, Louis de Luxembourg, Comte riche et puissant va jouer son"jeu" personnel entre Louis XI et Charles le Téméraire, Duc de Bourgogne. Le château de Saint-Pol doit montrer la richesse du Comte Louis face au château voisin du Vieil Hesdin et à son célèbre "parc" propriété des Ducs de Bourgogne.


Rappelons quelques événements qui intéressent directement l'histoire de notre château à la fin du XIV ème et au XV ème siècle:
> Le Comte Guy de Luxembourg a, parmi ses enfants, un surdoué qui passera un certain temps au château, dans sa jeunesse; Pierre qui deviendra évêque de Metz à 18 ans, cardinal en Avignon, et mourra (en 1387) en odeur de sainteté à 22 ans, miné par les privations volontaires au profit des pauvres, il sera déclaré "Bien heureux"
> Le fils aîné de Guy, Waleran, devient Comte de Saint-Pol à la mort de son père, c'est un aventurier! que le Roi nomme Connétable (chef des armées); pris par les Anglais, il s'éprend de la soeur utérine du Roi d'Angleterre et l'épouse! Ce qui le met en délicatesse avec le Roi de France (c'est la guerre de cent ans).
Plus tard, fait prisonnier à nouveau, mais par un prince Allemand, il est libéré sur ordre de l'Empereur d'Allemagne, Othon, ce qui lui permet de récupérer sa rançon!
Avec cet argent, Waleran reconstruit la tour qui surplombe la porte de Béthune; on l'appellera désormais "la grosse tour couverte d'ardoises" [N°9]; elle sera aménagée luxueusement pour l'époque (cheminée, garde-robe, cuisine...), tous les murs seront lambrissés, un appartement de luxe en quelque sorte. Tout ce qu'il faut pour recevoir les plus hauts personnages, ce que fera le Comte Louis (neveu de Waleran). Seront reçus au château, le Roi de France, Louis XI (beau-frère du Comte), le Roi et la Reine d'Angleterre (alors dépossédés de leur trône, il est vrai) et les Ducs de Bourgogne Philippe le Bon et son fils Charles le Téméraire. D'autres tours sont également aménagées, la tourelle d'angle [N°11] et surtout la tour [C] à l'aplomb des chapelles. Une porte nouvelle sera ouverte entre la "tour plombée" [N°7] et "la tour couverte d'ardoises" [N°9].
Waleran, avant de mourir, décide de construire une nouvelle et grande chapelle "pour le repos de son âme" aventureuse!, ce sera la chapelle Notre Dame [N°16], accolée à l'ancienne chapelle, "la neuve chapelle" ne sera pas encore terminée en 1470, les sculpteurs y seront encore à l'oeuvre.


Mais pour unir tous ces lieux de réception, de logement et de prière, sans traverser la cour réservée aux activités serviles, et sans salir les luxueux vêtements des invités de marque, un Comte, probablement Louis de Luxembourg, fait construire les "galeries à double estage", couloirs extérieurs qui permettent d'aller d'une tour à l'autre, à la chapelle, à la "salle peinte", etc.. sans se salir les pieds.
Nous ne savons pas grand chose de ces galeries, les soubassements étaient probablement en pierre, et tout le reste en bois, avec sans doute, entre les colombages, des remplissages de torchis ou de briques. Près des chapelles, un escalier monumental, fermé, permettait de descendre dans la cour et d'accéder aux jardins, ils étaient éclairés par des fenêtres avec vitraux.
Louis fera décorer les toits, les tours, les fenêtres du château, d'emblèmes à sa gloire: bannières à ses armes (le lion), à sa devise ("mon mieulx"), images de la fée Mélusine, dont prétendaient descendre les Luxembourg. Tel était le château de Saint-Pol vers 1472, lorsqu'il sera confisqué par Charles le Téméraire, puis par le Roi de France. Car Louis de Luxembourg, Connétable de France, sera condamné pour haute trahison et exécuté en place de Grève à Paris en 1475, sur ordre de Louis XI (en raison de ses relations avec les Bourguignons et les Anglais). Mais le château sera rendu à sa fille Marie (qui y viendra au début du XVI ème siècle et fera prendre soin des jardins), avant la destruction totale de 1537.

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