En marge du XXème anniversaire (2008) - Histoire du cinéma à Saint Pol
 


Histoire du cinéma à Saint-Pol (1)


A Frévent
Pour comprendre comment fut implanté le premier cinéma à Saint-Pol, il faut se tourner vers Frévent.
C'est à Frévent en effet que fut construite, en 1910, selon M. Georges Fatien, la première salle cinématographique de l'arrondissement de Saint-Pol. Elle est l'oeuvre de Fernand Fatien, le grand-père de Georges, qui la fit ériger sur les dépendances de l'hôtel Saint-Martin. Elle avait d'abord été conçue pour servir de café-concert et prit l'appellation « Variétés fréventines ».
Puis le propriétaire lui assigna une autre destination, comme le prouve cette coupure de journal, malheureusement incomplète, que nous reproduisons ci-dessous.
« Le Casino de Frévent est conçu dans les meilleures conditions de confort et d'élégance ; d'une disposition pratique, il se prête à toutes les manifestations théâtrales et musicales. Malgré son rôle avant tout artistique, il ne dédaigne pas la délicieuse musique des fourchettes et des bouchons de Champagne quand une noce ou des sociétaires en veine de banquet vont lui demander l'hospitalité.
S'il a des promiscuités culinaires, le Casino fréventin n'oublie cependant pas la noble réalité de son but. Le cinéma y est installé avec les derniers perfectionnements de la maison Pathé ; toutes les précautions d'isolement sont prises pour écarter les risques d'incendie.
C'est ainsi que dans la vaste salle, en semaine et surtout les dimanches et fêtes, les Fréventins vont, pendant de longues heures, voir défiler sur l'écran les faits d'actualité les plus saillants et une variété... »
Les Fréventins furent donc les premiers à recevoir les bienfaits d'une salle cinématographique qui fonctionnait bel et bien en 1912, si l'on jette ses regards sur le compte-rendu de la foire d'automne rédigé à cette époque.
Favorisée par le beau temps, elle fut particulièrement animée cette année-là. Les attractions très variées, venues nombreuses, grâce aux sacrifices consentis par l'Union Commerciale et à l'initiative de la municipalité en vue de leur donner le meilleur emplacement attirèrent un grand nombre de promeneurs des villages voisins. Les charmantes soirées de cinéma et de cafés-concerts organisés par le Casino et divers cafés de la ville surent divertir la foule et la retenir fort avant dans la soirée. Par leurs horaires spéciaux, les administrateurs des « Autos Messageries de la Canche » contribuèrent également à la réussite de cette foire.


Les autres salles de Frévent
Nous réamorcerons peut-être votre curiosité en vous apprenant que la ville de Frévent possédait un deuxième cinéma entre les deux guerres. Notre intérêt se focalise ainsi sur le Cinéma des Familles qui concurrença le Casino. Le dernier venu se tenait dans les salons de l'hôtel d'Amiens. On s'adonnait ainsi aux plaisirs de la danse dans cette salle. Le 10 janvier 1932, on y organisa un grand bal sur invitation avec pick-up Magister.
Les spectateurs prirent ainsi un goût déclaré pour ces salles où l'obscurité les troublait et où Ils étaient hypnotisés par l'écran lumineux, par ces images qui les amusaient, les émouvaient, les instruisaient, les faisaient voyager sans qu'ils aient à quitter leur siège, les rendaient moins ignorants des choses de leur époque par le développement d'images des faits récents et leur donnaient des sensations de la vie universelle dans ses multiples formes et expressions politiques, sportives, militaires, élégantes et dramatiques, pittoresques, comiques et Imaginaires...Octave Uzanne vient de se faire une nouvelle fois l'avocat de la cause cinématographie.


Un footballeur professionnel, Henri Moigneu
Mais, dans cette série de poses photographiques, régulièrement espacées, décomposons le mouvement et revenons à la famille Fatien, de Frévent. Fernand (1867-1933) avait épousé Philomène Bollet. De leur union sont issus trois enfants : Fernande, André (le père de Georges) et Georgette, cette dernière devint l'épouse de Henri Moigneu que nous allons situer dans son contexte historique.
Originaire des environs d'Orléans, il fit ses études au lycée de Tourcoing et figura dans l'équipe qui remporta le championnat de France scolaire. A l'U.S. Tourcoing, il sut vite faire apprécier ses rares qualités sportives et ne tarda guère à devenir le capitaine de l'équipe gagnante du championnat de France. Il eut les honneurs de la sélection, tout d'abord dans l'équipe de la Ligue du Nord, nommée « Lions des Flandres », et dans l'équipe nationale de France, où il figura de 1904 à 1908, pas moins de 8 fois. Cela lui valut de participer aux rencontres internationales suivantes : France-Belgique (1905-1906) ; France-Angleterre et France-Belgique (1905-1906) ; France-Belgique (1906-1907) ; France-Angleterre, France-Belgique, France-Suisse, France-Hollande (1907-1908).
Mais la guerre vint assombrir l'horizon. Henri Moigneu partit dès les premiers jours d'août 1914 comme adjudant de réserve au 351e R.l., blessé le 1er septembre 1914, il le fut encore le 24 octobre suivant, cette fois atrocement et à jamais meurtri et affligé. Sa conduite admirable lui valut la médaille militaire et une citation à l'ordre de l'Armée. Grand mutilé, il dut alors renoncer à pratiquer son sport favori.


Le cinéma Moigneu à Saint-Pol
Malgré tout, il ne put se désintéresser du football. Après la guerre, peut-être en 1919, il installa un baraquement à Canteraine, près de l'ex-café des Trois Couleurs. C'est là que devait débuter le cinéma Moigneu.
L'ex-international de football mit aussi bien souvent sa salle à la disposition des sociétés locales. La réunion constitutive de l'Union Sportive Saint-Poloise se tint en effet dans cette salle, le 10 janvier 1921. Moigneu faisait partie de ce premier comité présidé par Lacroix. Quelques années plus tard, Henri Moigneu fit construire, en dur, une nouvelle salle sur la place du marché aux grains (L. Lebel).
A la Noël de l'année 1924, la coquette salle de cinéma était mise à la disposition de l'Association des Anciens Combattants.
Mais après une sérieuse maladie, Henri Moigneu céda son cinéma à M. Duvauchelle, un ingénieur électricien, et alla s'installer à Frévent où il s'était marié comme nous l'avons dit. Il participa à la réorganisation de l'A.S. Frévent. Mais la maladie ne lui fit pas de cadeau et il décéda le dimanche 14 mars 1937, à l'âge de 50 ans. Sa disparition fut douloureusement ressentie dans la région.


Le parlant à Saint-Pol
Nous resterons en prise directe sur l'époque grâce à M. Richard Gillion, de Saint-Pol que nous avons eu le plaisir de rencontrer alors qu'il était encore en vie (en 1987, croyons-nous). Pour lui, le cinéma n'est plus entouré d'un halo mythique, puisque c'est lui qui, en 1930, avec M. Duvauchelle, perfectionna les appareils de la salle Moigneu. Celle-ci d'ailleurs fut alors baptisée cinéma Familia. Ce sont aussi nos deux Saint-Polois qui, grâce à leur état d'esprit, leur manière d'être, de vouloir et d'accepter le progrès, contribuèrent à créer une succursale du Familia à Hesdin.
Puis Saint-Pol se mit à la page. En avril 1931, les travaux d'installation des appareils parlants étaient complètement terminés. Pour les fêtes de Pâques, en guise d'oeufs, les Saint-Polois eurent droit à un superbe programme. Le samedi 4 avril, à 20 h 30, les dimanche et lundi, à 15 h et à 20 h 30, Ils purent assister au bal des petits lits blancs à l'Opéra de Paris, avec Pathé-Journal, les actualités sonores et parlantes. Le défilé des plus grandes vedettes, dans le décor superbe de l'Opéra, intéressa tous les spectateurs. Ils purent voir : Mickey virtuose, un excellent dessin animé musical, et enfin un grand film français 100% parlant, musical et chantant : « La tendresse », interprétée par Marcelle Chantal et Jean Toulout (film de Henri Bataille) (location gratuite, 4 rue de Fruges à Saint-Pol, tél.: 86. Prix des places : premières : 8 F. ; secondes : 5 F. ; troisièmes : 3 F.).


La couleur
Les noirs, notamment au début du cinéma, offraient principalement sur les visages et les parties charnelles des personnages, des effets ternes, mornes, parfois désastreux et contraires à la vie. On y remédia par la suite et le cinéma finira par donner tout son éclat et son développement avec la couleur définitivement acquise et généralement exploitée. Quand vint-elle à Saint-Pol imposer le concept d'un spectacle total ?
En tout cas, les 16,17 et 18 janvier 1932, les Saint-Polois purent regarder un film comique en couleurs : « L'île des pingouins », retraçant la vie d'Alfred, le porte-bonheur. Au programme figurait aussi le 1er grand classique du film : « Le Juif polonais » avec Harry Baur (1880-1943), artiste incomparable qui interpréta le rôle de Mathis dans l'oeuvre d'Erckmann-Chatrian. Ce « monstre sacré » du cinéma français qu'il marqua de sa puissante personnalité fut arrêté par les nazis alors qu'il tournait un film en Allemagne et mourra des tortures subies à Berlin quelques jours après sa libération. Quant au « Juif polonais », transposé au théâtre en 1869, il est passé ensuite au répertoire de la Comédie Française.
Les Saint-Polois retrouveront Harry Baur les 26, 27, 28, 29 et 31 mai 1934, dans « Les misérables », cette grandiose réalisation qui honore le génie de Victor Hugo. Montreuil/Mer, Saint-Pol, Arras, ce poème de générosité humaine prend naissance chez nous avec, entre autres, Florelle, Charles Vanel, Orane Demazis, etc.


La dernière guerre
Des images seront encore projetées sur l'écran du cinéma Familia en 1940. Le dimanche 14 janvier, par exemple, les Saint-Polois purent assister à deux séances, à 15 h et à 19 h avec deux grands films : « L'hôtel du libre échange », une excellente comédie pleine de situations cocasses, interprétée par des comédiens de premier ordre avec Fernandel, Alerme, Larquey, Cordy, etc., et « L'Aristo » avec Lefaur, Marguerite Moreno, Cordy, André Roanne et Josette Day. Un beau programme complété par les Actualités avec des scènes de front, le voyage du roi d'Angleterre en France, le bombardement d'Helsinski. etc.
Mais bientôt le cinéma fermera ses portes. M. Duvauchelle se réfugiera à Saint-Georges. M. Gillion rejoindra son unité, au 3ème génie à Arras. Il recevra l'ordre de mener à bien tout un ensemble d'opérations visant surtout à miner les ponts pour retarder l'avance allemande. Lui-même se retrouvera alors en Dordogne au milieu d'une section réduite à 350 hommes parmi les 550 qui avaient été appelés à installer ces mines. Les cellules allemandes abriteront de nombreux prisonniers.
Démobilisé en septembre 1940, M. Gillion fut alors réquisitionné par les Allemands pour s'occuper de la projection de films. Ils lui flanquèrent d'ailleurs une sentinelle dans le dos (ce n'était pas du cinéma !) pour que le projecteur puisse tourner rond. La salle de Saint-Pol fut évidemment, comme tous les autres cinémas, soumise à de sévères censures durant l'occupation. Aucun problème d'actualité ne devait être abordé. Pourtant, de jeunes créateurs parvinrent à se révéler et d'autres à s'affirmer. L'un des plus grands films du cinéma français, « Les enfants du paradis », oeuvre de Marcel Carné, fut réalisé entre 1943 et 1945.
Auparavant, Saint-Pol connaîtra plutôt l'enfer en vivant dans la hantise des bombardements. Celui de juin 1944 eut raison du bâtiment qui ne se relèvera pas, du moins à l'endroit où il avait été édifié. L'habitation de M. Gillion fut également détruite pendant ces bombardements, il évacua alors sa ville et se relogea à Herlincourt. Le cinéma resta muet à Saint-Pol jusqu'à la Libération.
Puis il fut installé dans la salle des fêtes (Musée actuel). Mais la sécurité n'étant plus assurée dans l'ancienne chapelle des Soeurs Noires, il ferma en mars 1947.


La "résurrection" du Familia
Après quelques essais réduits à la salle Vanesse (en face du Monument de Wazières), le cinéma Familia réapparut dans une salle agréable, aménagée en un temps record et située avenue de la gare. Elle fut pourvue de bons fauteuils qui n'obligeaient pas les spectateurs à se transformer en hommes-serpents, d'une pente judicieuse permettant de suivre le film sans torticolis, d'une bonne projection et d'une excellente sonorisation.
Cette «résurrection» qui eut pour théâtre un des coins de Saint-Pol les plus durement atteints par les bombes eut lieu à la foire de mars 1948. Pour suivre ce signal du renouveau, il restait à réaliser la route qui aurait permis d'accéder directement de la rue d'Hesdin à l'avenue de la gare.
Enfin, après une réouverture couronnée de succès, le cinéma, ayant toujours M. Gillion comme chef opérateur, présenta un film qui mettait en vedette les deux désopilants comiques Abbott et Costello en de nouvelles aventures.

La nouvelle salle
Le samedi 5 octobre 1957, le cinéma Familia s'installa dans une nouvelle salle reconstruite, presque en face de l'ancienne, dans la même avenue. Aménagée selon les conceptions les plus modernes, elle permettait d'accueillir 500 spectateurs auxquels étaient assurées les meilleures conditions de vision, d'audition et de confort. L'écran qui occupait toute la largeur de la salle et les nouveaux appareils de projection permirent le passage de films en cinémascope.
Pour son ouverture, le Familia présenta « Mannequins de Paris » avec, dans les rôles principaux, Madeleine Robinson et Ivan Desny. Le mardi 8 octobre, un autre cinémascope en couleurs, « Par-dessus les moulins », passa sur notre écran. L'intrigue sentimentale de ce film fut excellemment animée par Vittorio de Sica, Sophia Loren et Yvonne Sanson.
Quant à M. Richard Gillion, il avait bien servi la cause du cinéma. Il se retira en 1968, après avoir manipulé les appareils cinématographiques pendant 38 ans. Il naquit en effet le 15 juillet 1896. Nous le remercions encore aujourd'hui de nous avoir livré ses souvenirs. Et croyez bien qu'à l'époque (il avait alors 91 ans) il avait conservé une mémoire bien fidèle !


La salle Saint-Paul
Pendant la période de l'entre deux guerres, Saint-Pol posséda une deuxième salle de cinéma, appelée la salle Saint-Paul. C'était au temps où le cinéma ne parlait pas, au temps où les bruits de coulisse rompaient seuls le silence des bandes. Pour égayer ces films d'un mutisme accablant, on avait parfois recours à un orchestre chargé de les accompagner de ses flons-flons.
A Saint-Pol, par exemple, quelques instrumentistes eurent l'idée de se réunir. M. Jules Lamoril, avocat à Arras, en particulier, poursuivit cette idée. Pour la réaliser, il s'adressa à plusieurs fervents d'Euterpe parmi lesquels des membres de la famille Pénet. Cette nouvelle phalange de musiciens débuta donc, vers 1925, sous la direction de M. Pauchet, alors professeur de musique à l'Institution Saint-Louis, puis par la suite maître de chapelle à Puteaux. Cette société, qui prit la dénomination de « La Symphonie des Amis Réunis », eut au départ pour mission de se produire au cinéma de la salle Saint-Paul. Par la suite, elle monta toujours dans la voie du progrès, d'abord sous la baguette de M. Henri Gouillart, puis sous celle de MM. Duwelz et R. Pénet.
La salle était située dans la rue du Pont-Simon, à l'emplacement de l'ancienne église provisoire. A quel moment ouvrit-elle ses portes ? Nous ne saurions le dire avec certitude. Le dimanche 17 janvier 1932, en tout cas, elle était en mesure d'accueillir des spectateurs qui purent suivre les aventures de « Surcouf ». En octobre 1934, le prix des places était de 3, 2 et 1 francs. Le dimanche 24 mars 1935, on y présenta « L'Appel », un grand film sonore et parlant traitant du drame poignant des clochers de France, de l'ardente et heureuse atmosphère des séminaires, de la splendeur majestueuse des ordinations, de l'hymne triomphal du sacerdoce catholique. La Maîtrise de la cathédrale d'Arras et les choeurs du grand séminaire prêtèrent leur concours à cette manifestation. On pouvait louer les places chez M. Lamoril (réservées : 7 F. ; premières : 5 F. ; secondes : 3 F.).
Le cinéma Saint-Paul fonctionna jusqu'à la dernière guerre. Le dimanche 14 janvier 1940, il put encore proposer aux amateurs « Les nuits moscovites » avec Annabella, Harry Baur, Spinelly, P. Richard-Willm, Germaine Detmoz.


Et chaque année nouvelle,
il est permis de rêver dans le ciel du Septième Art. Un nouveau visage s'éclipse au bout de quelques mois ou s'illumine de plus en plus, jusqu'au point de rayonnement d'une gloire éclatante. Innovations, découvertes, figures et personnalités nouvelles, le cinéma se renouvelle sans cesse, avançant chaque jour vers ce qu'il croit être la perfection. C'est phénoménal ! Ce qui semble pourtant plus sûrement phénoménal encore, c'est que de telles choses nous puissent paraître normales et naturelles et que nous les acceptions sans en témoigner une excessive surprise.
Et le cinéma continuera d'être le maître des destinées des plus grands artistes dont les gains fabuleux dépasseront l'imagination. Mais les offres les plus séduisantes ne sourient plus seulement aux acteurs de cinéma. Plus rien ne nous étonne... Qu'importe! Ce n'est pas demain que l'on oindra le cinéma d'huile de parfum composée de cinnamome, de myrrhe et d'aloès !


Document Marcel Bayart.